Voilà quelques mots que tu peux faire glisser sur ton site.
Bien à toi
Lettre de l'Ermitage invisible
Qu’il n’y ait plus, entre le monde et les livres, que cette lumière que nous offre le visage invisible du lecteur. Cette lumière a tout exigé de moi. Tout. Elle m’a tout pris. Elle a pillé mon âme, mon cœur, mon sang, mes moindres souvenirs. Elle a anéanti les miens. Chacun de mes biens a roulé au ravin. Pour elle, j’ai perdu mes plus petits trésors. J’ai perdu jusqu’au souffle. J’ai marché en aveugle. J’ai erré des siècles pour trouver enfin un refuge, un lieu pour mes haltes et mes vagabondages. J’ai tout perdu, tout. Qui peut savoir la hauteur de cet abîme ? Je ne possède plus que la pauvreté ensoleillée de chaque phrase. On n’a pu me dérober la joie et, croyez-moi, la joie, c’est le sommet, oui, le sommet. Nous sommes quelques-uns à veiller tendrement sur cette reine déchue. En effet, qui perd la joie perd la vie ! Désormais, je pressens le Tout dans l’infime, le Très peu, dans le balancement de la moindre herbe sauvage, dans la lueur pure des ciels de juin ou de novembre, dans les yeux d’une poignée d’enfants, dans ceux de mon voisin qui vient souvent frapper à ma porte avec ses rires, sa parole juste, des légumes frais dans ses deux bras grands ouverts, dans l’Amour immense exigeant plus que l’Amour et que l’Amoureuse. Oui, la vie immense a dévoré mon tout petit cœur. Vous voyez, la vie m’est offerte en abondance. Alors, de quoi me plaindrais-je ? Et vous, vous, toutes ces femmes vibrantes dans la lumière, qu’enchantez-vous derrière des persiennes closes, qu’allez-vous donc chercher dans le puits sans fond des livres mystérieux tandis que nous contemplent les montagnes encore ensommeillées, que bruissent les vergers dans l’été silencieux ? Je vous l’avoue, j’ai visé, cherché l’Inaccessible, le feu d’un absolu. J’ai parfois trouvé de l’or dans la boue du monde. Je vis dans une solitude où le solitaire n’est plus jamais seul. Vous ne pouvez savoir, vous qui êtes heureusement entourées de vie vivante. Vous ne pouvez savoir jusqu’où il m’a fallu marcher, quels ravins j’ai dû entreprendre, quels cols franchir, combien d’amoureuses quitter pour vivre sur ce chemin de complète incertitude. Cela est pure folie, oui, pure folie. Il y a un prix à payer pour la vérité de la plus brève phrase. Voilà pourquoi, aujourd’hui, récompensé, je suis pourtant un homme couvert de dettes. Qui les réglera jamais à ma place ? Quel dieu, quel ange ou quel démon ?
Ce matin, dans l’émerveillement du matin, un merle m’a fait cette révélation en se posant avec une telle grâce sur le muret tremblant du jardin. Il a tourné un instant son bec vers mes deux yeux puis s’est envolé vers l’infini. Comme les vrais livres, les grands livres à la contagion parfois insupportable. Qui sont écrits avec le cœur, le sang luisant du cœur. Ceux-là seuls ont des ailes. Plus qu’un écrivain, je voudrais être un homme qui a un cœur, mais un homme qui a perdu l’alphabet. Oui, un homme avec un cœur. C’est tout simple, non ? C’est infini, comme la vie qui commence ici, sur ce seuil d’où je vous écris en saluant le tilleul qui penche ses branches vers mes fenêtres. Des hommes, avec un cœur, je n’en ai pas croisés beaucoup. J’écris peut-être pour cela : rencontrer des hommes sur ma route.
Ce matin, dans l’émerveillement du matin, un merle m’a fait cette révélation en se posant avec une telle grâce sur le muret tremblant du jardin. Il a tourné un instant son bec vers mes deux yeux puis s’est envolé vers l’infini. Comme les vrais livres, les grands livres à la contagion parfois insupportable. Qui sont écrits avec le cœur, le sang luisant du cœur. Ceux-là seuls ont des ailes. Plus qu’un écrivain, je voudrais être un homme qui a un cœur, mais un homme qui a perdu l’alphabet. Oui, un homme avec un cœur. C’est tout simple, non ? C’est infini, comme la vie qui commence ici, sur ce seuil d’où je vous écris en saluant le tilleul qui penche ses branches vers mes fenêtres. Des hommes, avec un cœur, je n’en ai pas croisés beaucoup. J’écris peut-être pour cela : rencontrer des hommes sur ma route.
Joël Vernet